retour

Oeuvre sur oeuvre

Véronique Gautherin

Oeuvre sur oeuvre

Le regard de l'esprit est la seule éternité tangible de notre humanité.

Antoine Bourdelle

L'art de la conversation est l'art du savoir se taire plus que du savoir dire. Et le photographe qui possède cet art est celui dont l'oeil a appris à écouter, attentif aux silences de ce qui se dit d'invisible : en maître du langage des signes sachant susciter l'image là où s'arrêtent les mots ; celui dont l'oeil écoute et donne à entendre autant qu'il donne à voir et fait parler. Avec cette intelligence du regard sans laquelle rien ne saurait valoir de ce qui se dit en photographie par le truchement d l'objectif.Car l'exercice de la prise de vue ne consiste pas comme le non-initié pourrait être tenté de le croire, à imposer une quelconque vision de ce que l'on peut regarde – le procédé serait l'art mineur de pratiquer l'à priori – mais à se faire, avec humilité, réceptif à ce qui en photosensibilisant se formule de soi-même.C'est du moins dans cet esprit que travaille Jean-Christophe Ballot et c'est à cette attitude de questionnement attentif que ce dernier souhaitait s'en tenir de manière résolue dans sa conversation avec l'oeuvre de Bernard Dejonghe exposée dernièrement au musée de Dunkerque.C'est en tout cas dans la nature de sa démarche propre dans son rapport au temps d'une certaine forme de méditation que réside la force de ses images conçues lors de son entretien en tête-à-tête avec l'artiste. Des images qui ne commandent rien, échappent au descriptif et se contentent de "mettre en lumière" : au double sens du mot. C'est-à-dire d'éclairer de l'acuité du regard qui à travers elles est porté les rapports d'incidence entre l'oeuvre sculpté et les lieux dans lesquels il était présenté. Cultivant échos et correspondances pour faire s'instaurer aux yeux de tous, le dialogue intangible qui se tenait entre eux en silence. Avec ce sens de l'espace qui caractérise son travail et que Jean-Christophe Ballot cultive comme une exigence et un principe de pensée.Car c'est d'abord en architecte que celui-ci photographie. Et son regard qui trouve à s'exprimer au travers de l'objectif est, pour détourné qu'il soit, un regard d'architecte ; un regard qui suscite de l'espace, de l'espace tangible, rendu sensible par un travail d'ordonnancement au sens architectural du terme sur les surfaces, les volumes, la lumière et ses contrastes. Un regard dont les lois auxquelles il obéit construisent dans une syntaxe formelle à l'économie à la fois sobre et précise, des images qui procèdent dans leur principe de l'art du point de vue et s'imposent comme des mises en perspectives au sens à la fois plastique et intellectuel du terme. Car ces photographies construites tout en ligne de fuite et jeux de volume d'ombre et de lumière sont autant une invitation au regard qu'une incitation au cheminement de la pensée et de la réflexion que dans l'enchaînement calculé de leurs plans et de leurs équilibres elles suscitent.L'oeuvre de Dejonghe mise à la question dans ce contexte s'en trouve envisagée autrement, sous un angle qui la dépasse autant qu'il la situe ; en lui faisant prendre un sens qui sans cette intervention de la pensée et du regard serait demeuré latent. En tout cas inaperçu. Car sans ce regard tiers n'aurait été vu, ni soupçonné, ce qui s'y dit. Faute de temps, faute d'attention, faute de savoir regarder, faute de savoir envisager en exerçant son oeil en même temps que sa pensée.Il ne suffit pas de regarder pour voir. Ne saurait être photographe qui veut. Le travail de celui qui mérite ce nom est de savoir voir plus que de savoir regarder – même si cela n'est pas négligeable- en cultivant cet art du point de vue sans lequel on ne saurait concevoir de photographies dignes d'intérêt avec tout ce que cela peut signifier de rigueur dans les intentions et d'exigence dans l'exécution.Photographier consiste à laisser place au fortuit, mais appuyer sur le déclencheur ne signifie pas s'abandonner à l'aléatoire. L'art du parti pris n'a jamais été celui du n'importe quoi.Un travail de réflexion et de mise en forme sont nécessaires à l'élaboration de l'image photographique – à celle de toute image- dont le cadrage est le fondement. C'est la qualité du cadrage qui signe la qualité s'une photographie, lui donne sa valeur esthétique et lui confère son sens.Si les photographies de Jean-Christophe Ballot ont la justesse d'ordonnance te la qualité plénière de construction, l'aisance qui les distingue, c'est parce qu'elles procèdent de la maîtrise de ce processus de mise en forme à l'intérieur des limites imparties par l'objectif et parce qu'elles sont le fruit de cet équilibre pensé dans ses moindres détails, avec cet esprit d'économie plastique porté à l'extrême des possibles.C'est en tout cas de cette maîtrise qu'elles tiennent leur capacité à être sans ostentation, sans recherche de l'effet, l'écho "oeuvres sur oeuvre" des réflexions de Dejonghe sur les notions de plein, de vide, de transparence, d'opacité et à en constituer à la fois par ce qu'elles montrent et dans la manière dont elles sont conçues le prolongement le plus à propos qui soit.

Véronique Gautherin

retour