Le Louvre et ses images

Revue "Le Moniteur Architecture – AMC" (n°136), Guillemette Morel-Journel

un petit ouvrage récemment paru sur "Les Mots du Louvre", qui recense par ordre alphabétique quelque 60 termes, ignore superbement celui de ´ photographie. Pourtant, depuis que cet art existe, le Louvre a été placé sous l'objectif de maints photographes et, depuis que le Louvre a été l'un des premiers ´ grands travaux de François Mitterrand, les reportages se sont multipliés. Mais il est un photographe qui a fait, en la matiére, preuve d'une persévérance inédite : Jean-Christophe Ballot. Ses relations photographiques avec le Louvre durent en effet, au gré des commandes successives, depuis maintenant plus de dix ans. La présentation de 39 ´ stations issues de cette fidéle fréquentation, que l'on peut encore voir jusqu'à fin décembre, est intitulée ´ La métamorphose du Louvre .

L'exposition occupe -au détour des rudes maçonneries de l'ancien château de Philippe-Auguste admirablement mises en scéne par l'architecte en chef du palais, Georges Duval, sous l'actuelle cour Carrée- trois salles toutes de béton brut. Paradoxalement, la rudesse des parois s'accorde bien avec les traces de la longue intimité entre le photographe et le grand chantier muséographique. En l'occurrence, le terme d'´ intimité n'est pas exagéré : par-delà la durée de la relation, il y va aussi de sa qualité. Jean-Christophe Ballot est en effet avant tout un contemplatif qui prend son temps. Au demeurant, il revendique cette lenteur, opposant les photographes de l'événement, tel Cartier-Bresson et son ´ instant décisif, et ceux qui à l'opposé, à l'instar d'un Irving Penn, s'attachent au ´ moment suspendu. Ses 39 tirages noir et blanc, dont les formats varient de 24àxà30àcm à 80àxà100àcm, appartiennent clairement à cette derniére écriture, et sont autant de jalons de la sympathie du photographe avec le lieu. Ce dernier est toujours saisi alors qu'il est déserté de toute présence humaine, même si les traces du labeur humain ou du passage des visiteurs hantent avec plus ou moins de prégnance les images.

Les vues de terrassement, de finitions, d'emballage, de transport et de remise en place des oeuvres et des mobiliers, mais aussi de la mise en lumiére des façades de la cour Napoléon par EDF gardent la mémoire de la fabrication de cette grosse ´ machine culturelle, aujourd'hui presque trop lisse et commercialement bien huilée, avec sa gigantesque galerie de boutiques pseudo chic de l'aile Napoléon.

Par le compagnonnage d'une décennie entre un artiste et un lieu, c'est donc une aventure constructive, mais aussi un grand projet de l'Etat, qui nous sont restitués, dans la beauté parfois presque tragique des saignées percées dans les murs du vieux musée, ou la rudesse des travaux de terrassement et de consolidation de l'actuel niveau public gagné sous la grande pyramide de Pei. Mesure du temps passé : miroitement des emballages de plastique répondant aux dorures des salons NapoléonàIII ; appareillage rustique des anciens murs contrastant avec la régularité des banches du soubassement du nouveau Grand Louvre ; mise à nu, dans la salle des Etats accueillant l'épopée de Catherine de Médicis transcendée par les pinceaux de Rubens, des moulures de marbre crées en 1953 par l'architecte Jean-Charles Moreux...

Ce regard à la fois contemplatif et analytique, Jean-Christophe Ballot le doit peut-être à sa formation initiale d'architecte : ´  tre architecte, même si l'on n'a jamais construit, c'est avoir un rapport, un regard particulier à l'espace. une fois qu'on a porté ce regard, on peut le raconter. un espace est porteur d'une histoire. Il ne se passe rien, mais il y a un contenu. Mes acteurs à moi, ce sont les volumes, la lumiére, les traces.

"Mise en abyme"

Mais l'intérêt de ce travail n'est pas purement documentaire, quand bien même il porte témoignage de la vie mouvementée de ce véritable palimpseste qu'est le nouveau ´àGrand Louvreà. Par delà la trace d'instants de destruction/reconstruction d'un ensemble monumental dont chaque recoin est un condensé d'histoire, il s'agit aussi de la vision d'un artiste sur un lieu qui prend lui-même une valeur de piéce -monumentale- de musée. Il y a ici création d'une oeuvre sur l'oeuvre, une sorte de mise en abyme du "work in progress" que constitua ce grand chantier. L'exposition faillit même s'appeler, un temps, ´ Le Louvre de Jean-Christophe Ballot : il ne faut pas y voir l'indice d'une volonté d'appropriation, mais bien plutÙt le signal d'un regard sur une oeuvre, qui fait à son tour oeuvre.

Faut unique à ce jour dans l'histoire du Louvre, les tirages de l'exposition vont entrer, grâce à un don de la Fondation Electricité de France, dans le fonds du département de l'histoire du Louvre, alors que le musée n'a pas vocation à conserver des oeuvres du XXe siécle. Le statut créateur du photographe est en cela clairement manifesté : les tirages portent désormais un numéro d'inventaire dans les collections du Louvre. une maniére aussi de reconnaître le regard d'un artiste qui l'a longuement et patiemment contemplé.