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Le port de Surabaya

Surabaya à l'est de l'île de Java, dans l'archipel Indonésien, est le grand port de l'Asie du sud-est. La ville avec ses six millions d'habitants, compte environ vingt mille prostituées. L'un des visages de Surabaya est donc un immense bordel organisé en quartiers dispersés dans la ville et hiérarchisés.

Les chambres où se pratique habituellement la prostitution sont des espaces exigus, ayant juste la place pour un lit, une commode, un point d'eau avec une bassine pour tout sanitaire, des murs lépreux, une ampoule nue qui pend d'un plafond qui s'effrite. Ces chambres sont le lieu de travail mais aussi le domicile de ces prostituées.

Au-delà, il y a la prostitution de luxe, dans le célébre quartier de Dollye. Là les chambres sont plus grandes, un dallage sur le sol, des murs repeints fraîchement et un vrai cabinet de toilette, isolé par une porte.

Au-deçà, il y a d'autres quartiers dont celui de XXX derriére la gare. Dans des terrains vagues le long du fleuve, des méres maquerelle louent aux filles des ´ couches, simples nattes sur du sable et fermées par des bâches de récupération (tendues entre des montants en bois).

Ces chambres constituent un ensemble de signes qui, si nous prenons le temps de les lire, nous parlent de ces femmes dans le monde de la prostitution aussi bien que la photographie de reportage. Elles nous parlent de leur condition dans la société indonésienne.

Devant les travaux photographiques sur le paysage, l'architecture, l'espace en général, on s'inquiéte souvent d'une certaine froideur, d'une absence d'humanité. Je crois que l'on peut photographier l'espace sans le moindre personnage et être au coeur des préoccupations humaines les plus graves.

J'ai ainsi pu photographier plus de 50 chambres différentes, en demandant aux femmes, ce qui les étonnait, de bien vouloir sortir pour ne pas être sur mes images. Ce travail fonctionne sur un double registre d'éloignement et de proximité.

Eloignement par l'attitude photographique distanciée : pas d'effet de composition, de mise en scéne racoleuse, absence des femmes, images volontairement -constat- on ne va pas se rincer l'oeil, on ne va pas non plus s'apitoyer. La photographie comme l'énonce Jean-Claude Lemagny ne dit-elle pas seulement ´ c'est ainsi ?

Proximité par l'ensemble des éléments figurant sur les images : calendriers, photos épinglées au mur, draps, couvertures, oreillers, ventilateurs, boîtes de kleenex, habits, chaussures, nounours et différents objets personnels. Les images fonctionnent alors à partir de ces indices.

Si on en reste aux objets et à leur dimension fétichiste, les images véhiculent une certaine dimension érotique, mais à travers ces indices se construit un second niveau de lecture, une évocation de l'absente, qui fait fonctionner l'imaginaire du spectateur qui regarde mes images, l'amenant à reconstituer les éléments du puzzle, et à s'inventer la vie de cette femme-là, qui vit dans cet univers-là.

Ce dispositif traduit mon point de vue sur ce sujet difficile. C'est une attitude qui trouve sa cohérence par rapport à l'ensemble de mon travail photographique.

L'absence de ces visages, de ces corps évite de brouiller le regard, nos regards avec l'émotion ou une curiosité malsaine, pour aller plus loin sur le chemin du pourquoi et du comment : un divan où tout à l'heure les femmes attendaient que le client choisisse ; la scéne d'un karaoké où d'autres s'exhibaient pour attirer l'attention des consommateurs et les entraîne dans les chambres qui s'alignent dans le couloir...

L'habitat de l'homme, l'environnement qu'il se donne où qu'on lui impose, exprime parfois plus complétement, plus clairement surtout, sa condition, que ne le fait la représentation de son aspect physique.

Jean-Christophe Ballot, mai 2000

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